Crépuscule

Philippe Claudel, Crépuscule, Stock, 2023

— Par Anne-Marie Debarbieux

L’assassinat sauvage et inexplicable du curé, fût-il peu charismatique, émeut la communauté d’une petite ville tranquille, dans un pays jamais nommé, à une époque elle aussi indéterminée. L’enquête, amorcée par Nourio, le policier, peu habitué à une tâche d’une telle ampleur, n’avance pas. Afin de ne pas semer la suspicion généralisée, la peur, en un mot le désordre, il est urgent de trouver une réponse, c’est-à-dire un coupable. Que le crime soit un acte crapuleux isolé ou un assassinat prémédité dans une intention politique précise, peu importe finalement, seule compte la désignation d’un bouc-émissaire pour endosser l’acte barbare. Claudel n’a rien inventé. Nous ne sommes pas ici très loin de la fable de La Fontaine dans laquelle l’âne innocent est désigné coupable d’avoir provoqué la peste. La recette est simple : désigner un coupable qui va attiser la haine et provoquer le soulagement. Or, le coupable, c’est toujours l’autre, celui qui est différent. Peu importe que nous ayons vécu jusqu’ici en parfaite harmonie avec lui. Les foules sont versatiles. Quant à Nourio, l’enquêteur officiel, il suffit de le flatter pour le neutraliser. Et tant pis pour lui s’il se montre trop scrupuleux. La petite ville devient le théâtre de crimes, expéditions punitives et autres exactions. Nourio, qui voyait dans cette enquête une voie de reconnaissance, est manipulé et tout se joue sans lui.

Ainsi falsifie-t-on l’Histoire en inventant des coupables et en détournant sans scrupule la vérité. La violence nourrit la peur qui, associée à l’humiliation, fait taire en l’homme ce qu’il a de meilleur.

La démonstration de Philippe Claudel est implacable, le regard sur l’humanité est noir ! Les animaux semblent parfois plus humains que les hommes. Seuls quelques personnages échappent à la bassesse générale, mais ils sont si fragiles… Roman actuel (ou fable universelle sur la loi du plus fort), Crépuscule est en tout cas un constat accablant sur l’humanité.

Le regard de Claudel est plus sombre que jamais mais l’écriture reste si belle ! Si noires que soient certaines descriptions, elle reste élégante, crue parfois, mais jamais relâchée, même pour évoquer ce qui est sordide. À d’autres moments elle devient ironique. À de très rares moments, elle est même presque douce.

Catégorie : Littérature française.

Lien : chez l’éditeur.

Un commentaire sur “Crépuscule

Ajouter un commentaire

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

Un Site WordPress.com.

Retour en haut ↑