Perdre la tête

Bertrand Leclair, Perdre la tête, Mercure de France, 2017

Par François Lechat.

Sans conteste, ce livre est brillant, et retors. Il raconte l’histoire d’un homme qui s’appelle Wallace – pas au sens où il s’appellerait Wallace comme je m’appelle François, mais au sens où il s’appelle Wallace dans les notes qu’il prend sur son histoire dans son lit d’hôpital, cloué une jambe en l’air à la suite d’un accident dont il s’efforce de démêler les fils. Et donc, s’il prétend s’appeler Wallace pour brouiller les pistes (car son histoire est assez inavouable), nous ne sommes pas obligés, ni le narrateur ni le lecteur, de croire tout ce qu’il raconte. Il tente de comprendre et de raisonner, car il doit savoir pourquoi sa maîtresse lui a brisé le genou d’un coup de revolver. Mais il se prend aussi au jeu de la littérature et il laisse son imagination le mener où elle veut, alimentée aussi bien par ses souvenirs que par ses traumatismes d’enfance et par les sources d’information qui l’entourent et le torturent – journaux, internet et télé qui le renvoient aux combines mafieuses de l’Italie contemporaine et à la perspective de voir des chirurgiens procéder à des greffes de tête, ce qui lui fait perdre la sienne, comme l’indique le titre… Vous l’aurez compris, ce livre n’est pas fait pour les lecteurs cartésiens ou les amateurs d’intrigues policières : l’écriture est fiévreuse, le récit erratique, les phrases tantôt incisives tantôt acrobatiques, la virtuosité de l’auteur se manifeste à toutes les pages. Autour de son anti-héros, esclave des femmes, ne gravitent que des personnages féminins et un mari hémiplégique, privé lui aussi de ses jambes : on devine qu’il y a de la passion et des orages dans l’air. Et de fait, on trouvera dans ces pages une colère homérique et bien méritée, une remarquable scène de sexe (en une seule phrase courant sur une page entière), la honte et l’angoisse d’un homme asservi à ses obsessions. Dommage que l’auteur se laisse piéger par sa facilité : il aurait pu nous épargner quelques tunnels, un certain sentiment de surplace ou cette faute grossière consistant, après une demi-page éblouissante sur une jolie idée (est-ce le lever du soleil qui fait chanter les oiseaux, ou le chant des oiseaux qui fait se lever le soleil ?), à l’étirer encore sur plusieurs lignes en lui faisant perdre tout son suc. A lire pour le plaisir, par curiosité.

Catégorie : Littérature française.

Liens : chez l’éditeur.

Un commentaire sur “Perdre la tête

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  1. Je n’ajouterai que deux choses à cette critique à laquelle je souscris en tout point :
    – l’auteur est un virtuose du style, vous l’avez dit, et cela se remarque particulièrement dans la manière dont il mêle style direct, style indirect et style indirect libre, sans la moindre ponctuation, mais permettant au lecteur de s’y repérer quand même car les délires paranoïaques de Wallace 1, alimentés par la morphine, sont au présent et les divagations amoureuses de Wallace 2 au passé, à moins que ce ne soit le contraire, allez savoir avec ce méta-roman écrit par ce « foutu foutraque romancier », ainsi qu’il se définit lui-même ;
    – comme la compréhension de l’intrigue est manifestement hors de portée (jusqu’au dernier chapitre où, brusquement, tout se dénouera et s’expliquera de manière très limpide), il vaut mieux se laisser bercer par le style et rien que par le style et apprécier sans restriction sa magnificence véritablement hors normes, particulièrement lorsqu’il s’agit de sexe. Il n’est pas exagéré de dire qu’on trouve dans ce livre quelques-unes des plus belles pages de la littérature érotique et que rarement hymne à une femme a été plus réussi.

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