Le dimanche des mères

Graham Swift, Le dimanche des mères, Gallimard (Du monde entier), 2016

Par Brigitte Niquet.

Petit par le volume (140 pages) mais géant par l’originalité de son thème et son écriture virtuose, ce roman ensorcelle le lecteur dès les premières pages.

« Le dimanche des mères », d’abord, qu’est-ce que c’est ? Un peu l’équivalent dans l’Angleterre des années 20 de notre Fête des Mères, à ceci près que ce n’est pas la fête de toutes les mères, mais le jour où les aristocrates donnent congé à leurs domestiques pour qu’ils aillent rendre visite à leur mère. Mais Jane, l’héroïne, ignore tout de sa génitrice, qui l’a abandonnée à la naissance. À quoi va-t-elle donc occuper ce fameux dimanche ? Après avoir songé à se plonger dans un livre (seule de sa condition à savoir vraiment lire et à aimer ça, elle dévore la bibliothèque que son maître a accepté de laisser à sa disposition), elle est détournée de son projet par Paul, son amant de longue date, un fils de bonne famille qui s’apprête à se marier avec une riche héritière et propose à Jane quelques dernières heures de folie sensuelle à titre d’adieu. Elle accepte, ignorant encore que, au-delà du drame qui va se jouer et qui aurait pu l’anéantir, sa vraie vie va commencer ce 20 mars 1924.

Il est question de beaucoup de choses dans ce livre pourtant court, que sa concision même rend percutant. On y voit bien sûr une société à deux vitesses en train de se défaire, avec toute la mélancolie des « fins de partie », mais surtout l’essor d’une femme que son époque et sa condition ne prédisposaient certes pas à devenir un écrivain célèbre et respecté, mais qui a su prendre son destin en mains au bon moment. C’est aussi une réflexion fascinante sur le travail d’écriture, sur la genèse d’un roman, sur le rapport intime qu’entretiennent la réalité et la fiction entremêlées, l’essentiel étant d’ « être fidèle à l’essence même de la vie ». C’est ce vers quoi Jane va tendre sans relâche pendant sa longue carrière, depuis ce fameux 20 mars 1924, journée fondatrice à laquelle Graham Swift relie sans cesse l’histoire de Jane, jusqu’à sa mort quelque 70 ans plus tard. La construction du roman « en cercles concentriques », comme l’a écrit très justement un critique, est si parfaitement maîtrisée que le lecteur ébaubi se laisse aspirer dans le tourbillon et ne touche plus terre. Du grand art !

Catégorie : Littérature étrangère anglophone (Royaume-Uni). Traduction : Marie-Odile Fortier Masek.

Liens : chez l’éditeur.

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