
Serge Joncour, Nature humaine, Flammarion, 2020
— Par Anne-Marie Debarbieux
Encore un Joncour à plébisciter, tant pour sa construction sur un long flash-back, que pour le regard porté sur un pan de notre histoire récente dont les conséquences sont encore au cœur des débats actuels.
13 décembre 1999 : Alexandre, qui vit désormais seul dans la ferme familiale, achève de mystérieux préparatifs. Le lecteur se contentera de savoir que « maintenant tout est prêt »… et attendra la fin du livre pour voir confortées ou non ses hypothèses. Suspense.
Ainsi s’ouvre le roman qui, après 2 pages intrigantes, nous ramène en 1976 et nous plonge dans l’histoire des Fabrier, une famille de producteurs-éleveurs dans un hameau du Lot. Il s’agit donc d’une saga familiale sur fond d’événements qui ont jalonné la période qui s’étend de l’été 1976 (sécheresse prémonitoire du dérèglement climatique ?) jusqu’à la tempête dévastatrice des derniers jours de 1999, à l’aube du troisième millénaire.
Entre ces deux événements qui résonnent comme deux alertes, on se souvient de la catastrophe de Tchernobyl, du naufrage de l’Erika, de la chute du mur de Berlin, de l’avènement de nouveaux modes de vie avec l’arrivée dans la France rurale du téléphone, des hypermarchés, des autoroutes défigurant la beauté des sites, du passage à la culture et à l’élevage intensifs, de la désertification progressive des campagnes, mais aussi de l’activisme gauchiste antinucléaire, ou encore des hippies de tous bords, adeptes d’ une vie naturelle et marginale. Autant de faits qui marquent l’agonie du monde qu’ont connu les grands-parents d’Alexandre, l’avènement d’une vie différente qui a saisi et tenté ses parents, et sur laquelle il porte lui-même un regard plus critique quant à l’évolution des rapports entre les hommes et la nature. Alors que ses trois soeurs ont cédé aux attraits de la vie citadine, il a suivi, sans vraiment le décider lui-même, la voie toute tracée que ses parents avaient toujours prise pour une évidence. Héritier du domaine familial, c’est un homme réaliste et qui aime la terre. Conscient des enjeux d’un monde en pleine mutation, il n’a rien d’un doux rêveur.
Ce solitaire pragmatique a pourtant eu un amour dans sa vie. Une relation passionnée et complexe qui confère de l’épaisseur à sa personnalité et évite, pour le plus grand bonheur du lecteur, qu’il ne soit qu’un personnage représentatif d’une épopée collective.
Catégorie : Littérature française.
Liens : chez l’éditeur ; notre critique de Chien-loup, du même auteur.
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