Hommage à Philippe Carrese

Hommage à Philippe CARRESE

Par Catherine Chahnazarian, avec la collaboration de Jacques Dupont-Duquesne.

Un jour, Jacques m’a dit : « Il y a un réalisateur de France 3 qui écrit des polars, tu devrais essayer. Il prétend qu’il écrit des séries B, et il assume, mais il s’est fait une sacrée réputation à Marseille. »

Ma curiosité était piquée : je me suis procuré Une petite bière, pour la route, qui venait de sortir. Comme ça m’a amusée, j’ai poursuivi avec Le bal des cagoles, que j’ai juste adoré et qui avait reçu le prix SNCF du Polar. Et dans la foulée, j’ai lu Conduite accompagnée, qui ne peut que parler aux jeunes qui apprennent à conduire, aux parents de ces derniers, aux moniteurs d’auto-école et à tous ceux qui empruntent régulièrement les grands boulevards marseillais. Ces trois opus, publiés au Fleuve Noir en 2000 et 2002, sont restés mes préférés. Ce n’était pas difficile de trouver un Carrese : il y a en avait dans toutes les librairies de la région. Quand on débarquait à Marseille ça aidait à se familiariser avec les personnages typiques de cette ville haute en couleurs, de comprendre la philosophie de la « cagole » [1]  et du « cake », et d’apprendre les expressions qui vont avec, comme le célèbre « on craint dégun » [2].

Dans la même veine, Philippe Carrese avait écrit un Petit lexique de ma-belle-Provence-que-j’aime, avec son ami Jean-Pierre Cassely : « Le premier Guide-Lexique foncièrement stupide, inutilement cruel et d’une mauvaise foi absolue sur la Provence » (Jeanne Laffitte, 1996, disponible en réédition numérique FeniXX). Vous voyez le personnage…

Mais il n’a pas fait qu’en rire. En 2006, il a poussé un coup de gueule intitulé « J’ai plus envie », qui traduisait – faut-il en parler à l’imparfait ? – qui traduisait si bien le malaise ressenti par de nombreux Marseillais qu’il a fait le buzz.

Puis, désireux de passer à autre chose, Philippe a écrit Enclave (Plon, 2009), un roman sérieux sur le pouvoir et la tentation totalitaire.

En 1945, les Allemands abandonnent le camp de Medved, au nord des Carpates, en Slovaquie. Les prisonniers… prisonniers de cette enclave entre une rivière et des montagnes infranchissables, décident de s’organiser en république. Le récit se développe à travers le regard d’un jeune garçon qui tient une sorte de journal de cette société dans laquelle, bien sûr, le pouvoir va faire ses ravages. L’écriture simple de Philippe Carrese, tout à fait sans prétention, met à la portée de tous un récit humainement puissant qui s’appuie avec intelligence sur l’Histoire. Lire la suite « Hommage à Philippe Carrese »

Je reste ici

Marco Balzano, Je reste ici, Philippe Rey, 2018

Par Jacques Dupont.

Je reste ici, ou l’histoire intime d’une petite famille du Haut Adige, à Curon, village voué à être noyé sous un barrage inutile. La région est un éclat, presqu’une écharde de l’empire austro-hongrois. De langue allemande, elle fut annexée par l’Italie après la guerre de 14. Les fascistes tentèrent de l’italianiser, et les nazis enchaînèrent dans la germanisation, avec une violence égale. Le roman est rédigé à la première personne, par la mère, et est adressé à une enfant disparue, emportée dès avant-guerre par les remous de l’Histoire. Une bien belle histoire, qui se clôt à l’aube des années 50, racontée avec simplicité et émotion. Il y est question de frontières, de la force et de l’impuissance de la parole, de la violence du pouvoir. On sent l’ombre portée de la Mittel Europa, disparue à jamais, et à la fois tellement présente.

Catégorie : Littérature étrangère (Italie). Traduction : Nathalie Bauer.

Liens : chez l’éditeur.

Notes à usage personnel

Emilie Pine, Notes à usage personnel, Delcourt, 2019

Par Jacques Dupont.

À la fin du livre, j’avais le sentiment d’un long article d’un journal féminin, pas mal, un peu banal, facile peut-être. Et puis, un ami m’a dit que sa sœur avait fini par lâcher que, bourrée, elle avait eu un rapport non consenti avec un gars qu’il connaissait : ils étaient les meilleurs amis. Le lendemain, le garçon lui avait présenté ses excuses, et elle avait répondu : « Ce n’est rien ». Voilà ce que, dix ans après, elle ne se pardonnait pas. J’ai alors repensé à Emilie Pine que je venais de terminer. Notes à usage personnel n’est pas un journal, l’auteure considère plutôt qu’elle a écrit une série d’essais. L’un d’eux évoque un viol, dans une séquence de vie où, gamine en rébellion, elle vit de manière dangereuse et en paie le prix. Le prix n’étant pas le viol, mais « je ne vaux rien », qui prétend que « je vais bien » jusqu’à le croire vraiment, et presque parvenir à me le faire croire à moi, lecteur.

Le livre s’ouvre sur une séquence émouvante, lorsque son père manque de mourir d’alcoolisme ; il y a ensuite la séquence « Les années bébé » ; les parents divorcés, « Se parler ou pas » ; « Saigner et autres crimes » … Les Notes forment un livre éminemment féministe, écrit par une femme « fatiguée d’être féministe », fatiguée de « voir que c’est aux femmes d’identifier le sexisme ».

Emilie a peur « d’être cette femme qui dérange. Et peur de ne pas déranger assez. » Elle a peur, mais elle le fait quand même. Elle nous décille les yeux, à nous hommes, et aux femmes tout autant.

Son livre a été primé dans son pays d’origine, l’Irlande. Je le recommande chaleureusement.

Catégorie : Essais, Histoire… Traduction : Marguerite Capelle.

Liens : Au moment de mettre cet article en ligne, la page du livre chez l’éditeur est presque vide — c’est étrange —, alors compensons en signalant la page que le Cercle culturel irlandais lui consacre.

Désorientale

Négar Djavadi, Désorientale, Liana Lévi, 2016

Par Jacques Dupont.

Dans le métro parisien, M. Sadr – le père de la narratrice – n’emprunte jamais l’escalator. « L’escalator, c’est pour vous » – dit-elle, s’adressant directement au lecteur.

Dans Désorientale, il sera question de ce père, et de la famille Sadr sur plusieurs générations – depuis un Orient séculaire et quelque peu rêvé jusqu’à la chute du Shah et l’avènement de Khomeiny. On y verra une famille migrer pour la France, et une jeune femme – Kima – se désorientaliser.  Le livre est à la fois un retour-sur et un adieu, une trahison et une naissance à soi. Je ne puis en dire plus sans spoiler une lecture que je recommande chaudement.

Le livre – j’y pense soudain – m’a été conseillé par ma collègue iranienne, livre qu’elle n’a pourtant pas lu. Il en va ainsi de ces bouquins qui nous concernent de façon trop intime, une perturbation que nous pressentons dès les premières lignes, et que nous ne voulons pas endurer.

Catégorie : Littérature française.

Liens : chez l’éditrice.

La Mer à l’envers

Marie Darrieussecq, La Mer à l’envers, P.O.L.,  2019

Par Jacques Dupont.

Ça commence par une croisière, style Costa. Offerte à Rose et à ses enfants, par sa mère – l’occasion, pense-t-elle, de faire le point sur un mariage qui vacille, et qu’un déménagement de Paris vers les Pyrénées pourrait peut-être sauver. En pleine nuit, le paquebot – temple de la consommation – croise la route d’une embarcation de migrants et les recueille. Rose, comme fascinée, va à leur rencontre et tombe en arrêt sur un jeune garçon : Younes. Il lui demande un téléphone portable. Elle vole celui de son fils, ainsi que sa parka, et lui donne le tout.

L’histoire devient ensuite très ennuyeuse. Rose quitte effectivement Paris, avec mari et enfants… De temps à autre, le téléphone sonne – c’est Younes. Rose ne s’en émeut guère, ne décroche pas, toute absorbée par ses soucis domestiques, affligeante de banalité. Puis un événement va tout à coup la rendre héroïque…

Qu’est-ce qu’une vie voulue, qu’est-ce qu’une vie accomplie ? C’est sans doute la question que pose le livre. Quant à l’écriture, certains y verront des réminiscences durassiennes. Je n’y vois que trucs et procédés. Désolé pour les amateurs de Marie Darrieussecq.

Catégorie : Littérature française.

Liens : chez l’éditeur.

Sidérer, considérer

Marielle Macé, Sidérer, considérer, Verdier, 2017

Par Jacques Dupont.

Un petit livre d’une auteure émergente, qu’il y a urgence à entendre.

Marielle Macé parle des « délaissés urbains », des espaces inhabitables et pourtant habités, bords en plein centre, ceux de la gare d’Austerlitz, qu’occupent les migrants.

S’agit-il de demeurer sidérés devant de tels lieux ? De saisir les migrants comme on saisit, comme on comprend tout à coup une idée : celle de la peine et la perte qui sont les leurs ? Ou s’agit-il, à l’inverse, de les considérer, de parler des vies qui tentent de se tenir à même le campement ­– vies auxquelles on se rapporte par les gestes, les rêves, les tentatives, l‘expérience des migrants ? Non pas : « Te voilà victime », mais : « Et toi, comment vis-tu, comment fais-tu, comment t’y prends-tu pour vivre là, vivre cela, cette violence et ton chagrin, cette espérance, tes gestes. Comment te débats-tu avec la vie ? – puisque bien sûr je m’y débats aussi. »

Devant la crise des migrants, il est plus facile de se laisser sidérer que de considérer. Or celui qui se laisse sidérer (le « sujet de sidération ») n’est pas le même que celui qui choisit de considérer (« le sujet de considération »).  Le sujet de la sidération voit l’extraordinaire des campements, le nourrit d’images où il reconnaît la relégation et la souffrance. Dans cette reconnaissance est sa compassion. Le sujet de la considération regarde les situations, travaille à se rapporter autrement à ceux à qui il fait attention, par les vies desquels il devrait aussi pouvoir être surpris.

Or, remarque Marielle Macé, on dirait que certaines vies ne seraient pas tout à fait vivantes, qu’on en considérerait certaines comme des non-vies, perdues d’avance, avant toute forme de destruction ou d’abandon. « Ce n’est pas une vie » ?  Si, c’en est toujours une. Traversée à la première personne. Toutes doivent trouver la possibilité et les ressources de reformer un quotidien : préserver, essayer, soulever, améliorer, tenter, pleurer, rêver jusqu’à (re)construire un quotidien.

Gare d’Austerlitz, là où un espace jouxte un autre espace, où un temps jouxte un tout autre temps, là où des humains s’abstiennent les uns des autres, c’est une introuvable expérience de côtoiement qui se produit. Or, le côtoiement est justement la tâche politique ordinaire (avant même la relation)…

Marielle Macé nous oblige à voir qu’il n’y a pas de non-lieux. Il n’y a que des lieux ou des vies maltraités, précarisés, disqualifiés par l’absence de considération.

Catégorie : Essais, Histoire…

Liens : chez l’éditeur.

Le corps de ma mère

Fawzia Zouari, Le corps de ma mère, Gallimard, 2016 (disponible en Folio)

Par Jacques Dupont.

Le récit de Fawzia Zouari commence de nos jours, dans un hôpital de Tunis. Yamna, sa mère, y vit ses derniers jours. Font irruption – intrusion – dans la chambre de folkloriques Bédouins, vêtus à l’ancienne, poussant des youyous, semblant venir du bled le plus reculé. Lesquels, femmes et hommes furent bien les commensaux de Yamna, une mère dont sa fille (et ses frères, et ses sœurs) ne savent… rien.

C’était voulu. Allah n’a-t-il pas recommandé de tendre un rideau sur tous les secrets, et le premier des secrets n’est-il pas la femme ?

Mais ce silence que Yamna a su garder vis-à-vis de ses enfants, elle ne l’a pas eu pour Naïma, sa servante. Celle-ci va raconter, à Fawzia, lui ouvrir les portes d’un monde extraordinaire (et les yeux). Et Fawzia, après elle, de nous dire l’histoire du village de sa mère, du clan, dans la Tunisie des campagnes lointaines, entre le début de la colonisation, l’indépendance et la Révolution du Jasmin. Assignées à la maison, les femmes y mènent depuis leur plus jeune âge une existence plus ancienne que le monde. Non que cette existence soit contemplative : sous couvert d’obéissance, ce sont bien elles qui commandent, de la façon la plus mutique dès lors qu’une intimité risquerait de se dévoiler, et la plus loquace lorsqu’il s’agit d’édicter les lois claniques.

La dernière partie du récit – excellement structuré – nous montre Yamna dans sa vieillesse, exilée à Tunis, esquivant la sollicitude de sa progéniture, rusant – jusqu’à feindre Alzheimer – pour éviter de parler. « Parlant à Dieu et à la nature, aux djinns et aux ancêtres, aux blés quand ils poussent et aux nuages quand ils se pavanent, elle n’avait pas besoin de sa fille, non plus que de se confier. »

Il est alors temps pour Fawzia de présenter des excuses à sa mère décédée, pour avoir enquêté sur  elle, « transporté sa mémoire jusque sous les toits de France et l’avoir couchée dans une langue étrangère. »

Catégorie : Littérature française.

Liens : chez Gallimard, en Folio, sur le site du Prix des Cinq Continents de la Francophonie reçu en 2016 par l’auteur pour ce livre.

La France des Belhoumi

Stéphane Beaud, La France des Belhoumi, La Découverte, 2018

Par Jacques Dupont.

Les Belhoumi – famille algérienne – s’installent en France en 1977. Ils ont deux filles, Samira, 5 ans, et Leïla, 2 ans. Six autres enfants : trois garçons, trois filles naîtront sur le sol français. Stéphane Beaud les a rencontrés, « enquêtés » entre 2012 et 2017. La France des Belhoumi est la monographie de cette famille particulière. Elle a commencé après la rencontre fortuite de Samira, l’aînée des enfants.

La lecture m’a enthousiasmé. Il y a dans ce livre une extraordinaire proximité – étonnamment sans confidence – avec les enfants Belhoumi. J’ai suivi avec joie les combats des deux aînées. Combats contre la tradition, qui leur réservait le sort de femmes tôt mariées, sans instruction, sans travail, confites en bigoterie.  Or, c’est tout le contraire qu’on voit se produire, sous nos yeux, en « temps réel ». C’est formidable, c’est réjouissant. Samira deviendra cadre de santé, Leïla gérera une agence de Pôle Emploi.

Après quoi, on se dira que si les aînées des Belhoumi ont pu se battre, c’est parce que c’était … possible. Banalité ? Pas tant que cela. C’était possible parce que le mixage social existait encore dans les cités, au début des années 80, parce que les services publics n’avaient pas déserté les quartiers, que les municipalités communistes offraient beaucoup de possibilités culturelles (qu’on dirait aujourd’hui d’insertion), et surtout parce qu’il y avait l’école – et les institutrices militantes (nées vers 1948, elles avaient 20 ans en 68).

De là l’affaire commence à s’entendre autrement : les succès, les échecs des enfants Belhoumi sont le fruit de leurs personnalités individuelles, de leur genre, certes, oui encore, mais aussi d’un environnement social, politique, culturel. Or celui-ci s’est dégradé au fil du temps. Possibilités publiques, désir de s’investir, ouvertures, fermetures ne sont pas les mêmes d’une génération à l’autre. Une double hélice du pire court de Pasqua à Chirac, à Hollande ; de l’importation de l’Islam politique aux attentats. Elle s’enroule à celle de la paupérisation, et de la domination d’un libéralisme nouveau : l’ultra-libéralisme. Lire la suite « La France des Belhoumi »

Les chemins de la haine

Eva Dolan, Les chemins de la haine, Liana Levi, 2018

Par Jacques Dupont.

« Pas de corps reconnaissable, pas d’empreintes, pas de témoin. L’homme brûlé vif dans l’abri du jardin des Barlow est difficilement identifiable. Pourtant la police parvient assez vite à une conclusion : il s’agit d’un travailleur immigré estonien. »  J’ai mis des guillemets, parce que c’est le début du quart de couverture, et je l’ai copié parce que je ne pourrais pas mieux faire que l’éditeur. Il s’agit d’un roman policier, le premier de l’Anglaise Eva Dolan. Une belle réussite, à lire sans s’interrompre : nombre de personnages apparaissent au fil de l’histoire, qui va se complexifiant – mais demeure très maîtrisée par l’auteur. Rien à dire sur le style – toute l’énergie est passée dans l’efficacité du récit.

J’attends à présent l’adaptation télé. L’histoire la mérite, et les Anglais ont ce chic de s’autoriser des acteurs « tronchus », des accents inouïs, et de sublimer les décors les plus banals (« Broadchurch » est ici une référence). Bientôt sur Netflix ?

Catégorie : Policiers et thrillers (Grande-Bretagne). Traduction : Lise Garond.

Liens : chez l’éditrice.

Idiotie

Pierre Guyotat, Idiotie, Grasset et Fasquelle, 2018

Par Jacques Dupont.

La quatrième de couverture annonce une tranche d’autobiographie de l’auteur – bien connu – du Tombeau pour 500.000 soldats, lequel date de 1963. Idiotie débute en 1958, l’auteur a 18 ans. Il a fui le domicile paternel, et erre dans Paris. En 1960, il sera appelé et partira pour l’Algérie. En 1962, il est arrêté par la sécurité militaire, pour atteinte au moral de l’armée et possession de livres et de journaux interdits, puis mis au secret, enfermé, perpétuant – au fond – la tradition d’insoumission de sa famille, qui compta de nombreux résistants.

Cette histoire – bien pleine – j’en ai pourtant abandonné la lecture. Pour cause de style : pas que Pierre Guyotat en manque, mais parce qu’il en a trop, et que le style est maniéré et répétitif. C’est-à-dire alambiqué, et il sublime le goût des déjections de l’auteur : merde, foutre, pisse. Nauséabond, certes, mais surtout convenu. Freud a écrit « Analyse sans fin ». C’est de cela qu’il s’agit, d’une analyse infinie, d’une névrose précieuse, enkystée, qui ne se traverse pas.

Catégorie : Littérature française.

Liens : chez l’éditeur.

Frère d’âme

David Diop, Frère d’âme, Seuil, 2018

Par Jacques Dupont.

Frère d’âme se déroule durant la Première Guerre, sur le front et à l’arrière, et opère quelques retours au Sénégal, quelques années avant 14. Alfa Ndiaye et Mademba Dop sont tirailleurs sénégalais. Mademba tombe sous les balles de l’ennemi. Il demande à Alfa de l’achever. Mais Alfa n’écoute pas cet appel, ni sa propre voix. Au nom de Dieu, au nom de la tradition, il refuse le coup de grâce à Mademba. Réalisant son erreur trop tard, ivre de violence, fou de culpabilité, il va reproduire la scène sur les corps des ennemis, les éventrant pour pouvoir les achever, et poser ainsi le geste qu’il n’avait pu produire.

Peut-on tuer par humanité ? Je n’en dirai pas plus, sauf à déflorer le roman. Je l’ai lu d’une traite, saisi par la rythmique d’une langue à la fois écrite et parlée. J’ai été bouleversé.

Catégorie : Littérature française.

Liens : chez l’éditeur.

Histoire de la littérature récente

Olivier Cadiot, Histoire de la littérature récente, P.O.L. 2016 (Folio 2017)

Par Jacques Dupont.

La littérature. Elle aurait disparu (chanson connue). Où a-t-elle pu passer ? Qu’était-elle ? Une thérapie ? Que nenni : on ne supporte pas mieux ses maux en les recopiant. Un art supérieur ? Mais non : la littérature, c’est pareil à n’importe quoi. Le chasseur-cueilleur ne pense pas moins que l’écrivain. Il n’y a pas de hiérarchie. Faites dévorer vos grandes idées par les petites. Voilà qui désamorcera l’angoisse d’écrire, voire l’angoisse de penser.

Ce petit livre (suivi d’un second tome) forme un répons aux Lettres à un jeune poète de Rilke, un répons récent. C’est une œuvre poétique. La poésie y a été vidée de sa poésie pour lui redonner la parole.

Chaudement recommandé.

Catégorie : Essais, Histoire…

Liens : chez P.O.L. ; en Folio.

Offrir un livre… Mais lequel ?

Notre sélection de cadeaux pour Noël/Nouvel An (2017/2018)

Le Cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates, de Mary Ann Shaffer et Annie Barrows. Il n’est pas tout récent, mais « délicieux » est le mot qui vient naturellement à la bouche quand on referme ce livre burlesque et attendrissant, dont l’intrigue principale se déroule pendant la 2e Guerre mondiale alors que l’île britannique de Guernesey est envahie d’Allemands. Lire la critique de Catherine Chahnazarian et le commentaire de Sylvaine Micheaux qui la suit.

Le dimanche des mères, de Graham Swift. Un petit roman court qui se passe sur une seule journée, celle de l’envol d’une jeune servante anglaise dans l’entre-deux-guerres, le début de sa liberté. Un livre simple d’une très belle écriture, et beaucoup plus profond qu’il n’y parait. C’est la première sélection de Sylvaine Micheaux pour Noël. Voici la critique qu’en avait fait Brigitte Niquet.

La fiancée américaine, d’Eric Dupont. Un ton de conteur à la veillée, une imagination débordante, des scènes hallucinantes, des personnages hors norme, une délicatesse de tous les instants. Le coup de cœur de François Lechat qui pardonne même, dans sa critique, les curieuses fautes de langue ou d’orthographe qui émaillent ce roman-fleuve venu du Québec.

Les furies, de Lauren Groff. Deux jeunes gens solaires, beaux, talentueux, charismatiques, se rencontrent et tombent éperdument amoureux. Où est la faille ? Dans le passé de l’un et de l’autre, sur lequel ils ne se sont jamais menti mais se sont tus. Une recommandation de Brigitte Niquet, pour ceux qui aiment la « grande » littérature, avec un style magnifique, mais qui se lit comme un thriller. Lire ici la critique complète.

Judas, d’Amos Oz (Gallimard, coll. Du monde entier). S’y entrelacent plusieurs trames : le lien entre Schmel, devenu « pour un temps » l’homme de compagnie d’un grand aîné, et Atalia, une femme mystérieuse qu’il aime dès le premier regard ; l’histoire du sionisme, de ses contradictions, de ses luttes internes. Il y a aussi, distillée, une réflexion puissante sur Juda l’Iscariote. « Amos Oz en retourne l’ignominieuse image. Il m’a convaincu que le traître pourrait bien être le premier et peut-être le plus grand chrétien. C’est saisissant de justesse », ajoute Jacques Dupont dont ce livre est « sans hésitation » le premier choix de cadeau pour Noël/Nouvel An.

L’amie prodigieuse, le premier d’une série de romans d’Elena Ferrante dont on a beaucoup parlé et dont le succès est bien mérité. L’Italie, deux amies, la vie, la vraie. Lire la critique de François Lechat. Les volumes suivants sont très bien aussi ! Mais il faut commencer par le commencement.

L’archipel d’une autre vie, d’Andreï Makine. L’action se passe aux confins de l’extrême-Orient russe, dans un froid glacial et sur fond de Guerre froide. Un prisonnier s’évade et une longue traque commence, mais le gibier va se jouer des chasseurs… Pour ceux qui aiment le genre « aventures » mais complètement décalé. C’est un choix de Brigitte Niquet et sa critique se trouve ici.

Conclave, de Robert Harris. Construction presque parfaite que celle de ce roman à suspense, sujet original, personnage central exceptionnel, univers merveilleux. On apprécie sans doute mieux ce livre quand on a un minimum de culture catholique, mais ce n’est pas indispensable, et que l’on soit croyant ou non n’a aucune importance. À partir de 15 ans. Lire la critique de Catherine Chahnazarian et le commentaire qui suit, de François Lechat.

Les Plantagenêts, de Dan Jones. Un livre d’histoire qui se lit comme un roman. Trois siècles pendant lesquels l’histoire de l’Angleterre était intimement mêlée à l’histoire de France dans un livre qui nous offre tout ce que l’on aime : du bruit et de la fureur, des grands rois et des petits tyrans, des reines puissantes et des prélats sûrs de leur bon droit, des barons tantôt fidèles tantôt rebelles. Lire ici la critique complète de François Lechat.

Partir et raconter – une odyssée clandestine, de Mahmoud Traoré et Bruno Le Dantec (Lignes poche). Mahmoud quitte la Casamance. Il raconte la traversée du Sahel, du Sahara, de la Libye, du Maghreb. Tout ce périple… que l’obstacle de la Méditerranée occulte.  Les migrants ne forment pas qu’un peuple nomade, ils sont aussi une myriade de communautés, qui s’allient, qui s’opposent. Il est une société de la migration, avec des règles et des rapports de pouvoir, qui se faufile à travers des territoires incertains, aux intérêts changeants. La migration est une aventure, une odyssée ; Mahmoud est un aventurier,  peut-être même un explorateur, parti à la conquête d’un territoire inconnu : le nôtre. C’est Jacques Dupont qui recommande d’offrir ce livre.

Par amour, de Valérie Tong Cuong (chez Lattès). Un beau livre, souvent dur mais avec une belle fin, recommandé par Sylvaine Micheaux. Nous sommes au Havre pendant la Seconde Guerre mondiale, le Havre sinistré, bombardé. Deux familles avec enfants, l’une très droite et patriote, l’autre plus fantasque. Un roman choral très poignant, la petite histoire des sentiments humains au milieu de la grande Histoire. Passionnant.

Les filles de Roanoke, d’Amy Engel. Yates a adoré ses filles et ses petites-filles. Seule Lane a eu le courage de fuir pour lui échapper. Les autres femmes de la famille en sont mortes. Un roman pour adultes, à la psychologie complexe, à réserver à ceux qui aiment les sagas familiales bien noires. Lire la critique de Brigitte Niquet.

L’implacable brutalité du réveil

Pascale Kramer, L’implacable brutalité du réveil, Mercure de France (2009) – Zoé Poche (2017)

Par Jacques Dupont.

Un bien bête samedi 2 décembre, à lire un livre, à me forcer à le terminer. Le titre « L’implacable brutalité du réveil » m’avait alléché, et les nombreux prix décernés en Suisse (le grand prix du roman de la Société des Gens de Lettres, le Schiller, le Rambert).

Alissa est maman d’une petite fille de 5 semaines. Pour faire court, elle souffre d’une dépression post-natale. Tout ennuie, fatigue et lasse cette petite princesse américaine, à commencer par Una, son bébé. Il se pourrait bien que cette enfant soit née d’un très grand malentendu.

Je n’avais jamais traversé la terrible mélancolie qui atteint nombre de jeunes mamans. Je savais que cela existait, sans plus. Avec Pascale Kramer, j’en ai fait l’expérience. Tout compte fait j’aurais préféré l’éviter.

Ce réveil m’aura assommé.

Catégorie : Littérature française (l’auteure, d’origine suisse, vit à Paris).

Liens : au Mercure de France, en Zoé Poche.

La maladroite

Alexandre Seurat, La maladroite, Ed. du Rouergue 2015 – Babel 2017

Par Jacques Dupont.

La maladroite, c’est Diana – 8 ans. C’est ainsi qu’on lui a appris à se désigner dès lors qu’un adulte s’étonne d’un bleu au bras, d’un coquard à l’œil. Diana a 8 ans, et elle a disparu. Viennent prendre la parole, comme à la barre, sa grand-mère, sa tante, ses institutrices, des médecins, une assistante sociale, des gendarmes. Un chœur de voix singulières, qui eurent en commun leur impuissance à empêcher le pire.

L’écriture d’Alexandre Seurat, dénuée d’effets, donne au roman le ton d’une enquête, et un sentiment d’implacable véracité – implacable en ce qu’elle déroule la logique des faits dans une brutalité totale, monochrome, terrifiante.

Âmes sensibles s’abstenir.

Catégorie : Littérature française.

Liens : chez Rouergue ; en Babel.

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